Risques et outils de gestion des risques pour la production de semences de légumes

Risques et outils de gestion des risques pour la production de semences de légumes

Manon Ferdinand - Autrice technique
Clémentine Antier - Autrice technique

Contexte 

La Belgique ne dispose quasiment pas de production locale de semences maraîchères. Le développement d’une filière de semences potagères biologiques en Belgique pourrait donc participer à soutenir le secteur du maraîchage via des variétés mieux adaptées, contribuer à une plus grande résilience agricole régionale, et  fournir des opportunités économiques. 

Le projet Semences d’Ici (2023–2026) vise à relocaliser la production de semences potagères biologiques en Wallonie en identifiant les variétés adaptées au maraîchage local, en développant des outils techniques, économiques et contractuels pour structurer durablement la filière, et en explorant des modalités de financement adaptées. Il s’intéresse notamment aux variétés reproductibles, aux relations entre multiplicateurs et multiplicatrices (MU) et établissements semenciers (ES), et aux conditions nécessaires à une production viable. Financé par le Gouvernement wallon dans le cadre du Plan national pour la reprise et la résilience — avec le soutien de l’Union européenne (NextGenerationEU) —, ce projet s’inscrit dans une dynamique de transition agroécologique et de souveraineté alimentaire. 

La présente note de synthèse reprend les principales conclusions des enquêtes déployées auprès de multiplicateurs (MU) et auprès d’entreprises semencières (ES). Ces deux enquêtes ont couvert trois pays : la Belgique, la France et la Suisse. 

Vers un prix juste pour les semences potagères biologiques 

Contexte  

En Belgique comme en Europe, le manque de référentiel sur les prix des semences biologiques constitue un frein majeur au développement d’une filière viable. Ce flou tarifaire limite la capacité des MU à couvrir leurs coûts de production, décourage les investissements et fragilise l’ensemble de la chaîne de valeur.  

Observations 

L’analyse révèle une grande hétérogénéité des pratiques et des prix. Près de 44 % des MU vendent leurs semences sans contrat formalisé ou via un contrat oral. Les prix auxquels vendent les MU varient fortement (facteur de 4 à 6 pour la tomate ou le haricot), et très peu de MU estiment leurs coûts de production. En revanche, la vente simultanée à plusieurs ES favorise une certaine transparence et uniformisation des prix, ce qui permet de compenser le manque d’un référentiel de prix. La mécanisation semble également être corrélée à de meilleurs prix de vente. Les petits MU rencontrent, quant à eux, les plus grandes difficultés pour vendre leur production (surplus non écoulés, manque de débouchés, faible structuration de la filière, etc.).  

Recommandations pour structurer un prix juste 

Pour favoriser une filière équitable et durable, la construction de prix justes doit reposer sur trois piliers : 

Production et commercialisation 

  • Mettre en place un référentiel de prix fondé sur des données spécifiques collectées au sein de la filière. 
  • Accompagner les MU dans l’estimation de leurs coûts de production. 
  • Cibler et faciliter l’accès aux aides aux revenus. 
  • Réduire les intermédiaires via des contrats écrits MU–ES. 
  • Intégrer dans les prix les facteurs explicatifs : culture, variété, mode de production, marché, pays, etc. 
  • Améliorer l’accessibilité, l’attractivité et la transmission d’informations aux consommateurs.  

Développement de la chaîne de valeur  

  • Soutenir l’installation et la transmission des MU pour réduire l’endettement. 
  • Prendre en charge financièrement le risque par des aides ciblées. 
  • Envisager des régulations sur les importations pour protéger la production locale.  

Relations entre les acteurs 

  • Rendre publics les taux de marge et pratiques contractuelles. 
  • Répartir équitablement la valeur ajoutée entre les maillons de la filière. 
  • Systématiser et formaliser les relations contractuelles (vente sous contrat). 
  • Créer un cadre juridique adapté à la filière de semences biologiques. 
  • Encourager la construction de filières territoriales et la concertation. 
  • Normaliser l’intégration d’un forfait dans les contrats. 

Les principaux risques et outils de gestion dans la filière 

Contexte  

Comme l’ensemble du secteur agricole, la filière semencière est exposée à une série de risques, c’est-à-dire des événements incertains susceptibles d’entraîner des pertes matérielles ou financières, compromettant la pérennité et le développement de la production de semences.  

Six catégories de risques ont été identifiées : les risques liés à l’approvisionnement, au marché, à la production, aux finances, aux cadres institutionnels et aux ressources humaines. Pour limiter leur occurrence ou en atténuer les effets, les MU et ES recourent ou envisagent divers outils et stratégies de gestion des risques.  

Principaux risques 

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Tableau de synthèse des principaux risques de la production de semences (c)Sytra
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Catégories

Risques mentionnés par les 

Établissements semenciers

Risques mentionnés par les 

Multiplicateurs·ices

Approvisionnement 

Désengagement des MU ; Pénurie ; Rupture de stock ; Surplus de stock/

Marché 

Fluctuation des ventes ; Insatisfaction sur la qualité variétale Augmentation du prix des intrants ; Compétition sur le prix de vente des semences ; Baisse de la demande des consommateurs ne bio ; Augmentation de l’intérêt pour les variétés hybrides ; Chocs économiques internationaux 

Production 

En cas de production interne 

Contaminations ; Dérive variétale et échec dans la sélection ; Panne technique ; Perte de traçabilité ; Perte de production 

Pertes de rendement ; Problèmes de virus / maladie disqualifiant les semences ; Attaques de maladies nouvelles ; Variabilité du rendement imprévues ou inexpliquées ; Problème technique

Financier 

Perte de la valeur financière due à un pathogène / maladie ; Problèmes de trésorerie liés à la saisonnalité de l’activité ; Surcoût des charges de fonctionnement ou des investissements ; Erreur d’investissement ; Pertes du capital matérielPertes de matériel ; Impossibilité de rembourser des prêts engagés ; Manque d’accès à du financement ; Manque de rentabilité économique des productions engagées 

Institutionnel 

Instabilité des coûts ; Changements législatifs ; Incohérences entre les valeurs et le positionnement affiché ; Recul du soutien au bio ; Obligation de rappels Changements défavorables de régulation ; Augmentation des normes 

Humain 

Perte de connaissances et de savoir-faire ; Echec de production ou épuisement lié à la surcharge de travail Surcharge de travail ; Coûts humains ; Départ d’un.e travailleur.euse conduisant à une perte de compétences 

Outils prioritaires pour renforcer les activités de multiplication des semences 

Marché 

  • Formaliser les contrats en amont, avec des prix fixés à partir de référentiels adaptés. 
  • Mutualiser les risques entre ES et MU. 
  • Favoriser la transparence sur les conditions de production et les prix pour renforcer la confiance. 
  • Encourager la labellisation pour valoriser la qualité des semences. 

Production 

  • Renforcer la formation et l’accompagnement. 
  • Adopter des protocoles rigoureux pour garantir traçabilité et qualité. 
  • Favoriser la résilience via diversification, essais, luttes intégrées, adaptation des pratiques et irrigation. 

Financier 

  • Diversifier les canaux de vente et les profils d’acheteurs. 
  • Elargir le catalogue et cibler les cultures les plus rentables. 
  • Mutualiser le matériel, surtout à l’échelle collective. 
  • Utiliser des outils de calcul pour ajuster prix et production, et améliorer la viabilité. 
  • Développer des assurances accessibles, adaptées à toutes les tailles d’exploitation. 

Institutionnel 

  • Former des équipes polyvalentes pour plus de flexibilité et de résilience. 
  • Renforcer le réseautage et l’entraide. 

Humain 

  • Poursuivre le plaidoyer en faveur des filières de semences population auprès des pouvoirs publics et acteurs externes. 

La diversité des modèles technico-économiques et les facteurs de réussite  

Contexte  

Les exploitations engagées dans la multiplication de semences potagères biologiques de variétés populations présentent une diversité de modèles technico-économiques. L’objectif est d’identifier cette diversité et de comparer les modèles en termes de facteurs de production mobilisés, afin de cibler les conditions permettant d’assurer la pérennité de l’activité.  

La diversité des modèles  

La multiplication de semences potagères biologiques se caractérise par une grande diversité de modèles. Les MU reproduisent entre 2 et 300 variétés par an, avec une moyenne de 54, les petits MU étant les plus intensifs en nombre de variétés par surface. Les superficies dédiées à la multiplication varient de 1,5 ares à 35 ha. La main-d’œuvre régulière oscille entre 0,1 et 3 ETP dédiée à la multiplication, avec un renfort saisonnier de 15 à 300 jours-hommes par an, les petits MU étant les plus intensifs en main-d’œuvre par superficie. En 2023, le chiffre d’affaires s’échelonne de 5k€ à 950k€ selon la taille, les grands MU générant plus de CA par ETP, mais les écarts s’atténuent lorsqu’on rapporte le CA à la surface totale cultivée. 

3 axes de réflexion pour réussir la multiplication des semences 

Technique 

  • Spécialisation ou diversification : Reproduire peu d’espèces permet une meilleure maîtrise technique, tandis qu’une plus grande diversité renforce la résilience face aux aléas, malgré une charge de travail accrue. 
  • Choix variétal stratégique : Le choix des variétés (résilientes, rentables, adaptées localement) est un levier essentiel de performance et de stabilité. L’usage de variétés hybrides F1 ou non bio, bien que sécurisant, interroge la cohérence de la filière biologique. 
  • Autres leviers de résilience technique : Implantation optimale, diversification des modes de culture, mutualisation des risques, outils de calcul de rentabilité et lutte intégrée sont autant de pratiques à développer pour sécuriser la production. 

Économique 

  • Sécuriser les revenus par la contractualisation : Fixer les prix en amont via des contrats formels permet de stabiliser les revenus, d’améliorer la prévisibilité économique et de renforcer les relations professionnelles. 
  • Optimiser l’efficience économique : L’efficience humaine (CA/ETP) et foncière (CA/ha) peut être optimisée par la mécanisation, des financements adaptés à la taille de l’exploitation, ou la valorisation des excédents. Le recours aux bénévoles, bien que courant chez les petits MU, révèle une fragilité structurelle plus qu’une solution durable. 
  • Diversifier les débouchés : Multiplier les canaux de vente et les types de clients augmente la résilience commerciale et réduit la dépendance à un seul marché. 

Organisationnel 

  • Profils polyvalents : Des équipes capables d’assumer plusieurs rôles renforcent la souplesse organisationnelle, réduisent la dépendance à une seule personne et facilitent la gestion annuelle du travail, surtout dans les fermes combinant plusieurs activités. 
  • Spécialisation pour la maîtrise technique : La répartition claire des tâches entre personnes formées améliore la qualité et la traçabilité, mais rend l’organisation plus vulnérable en cas d’absence ou de changement de personnel. 
  • Organisation du travail sur l’année : Une planification équilibrée des activités limite les pics de charge, sécurise la trésorerie et prévient les risques d’épuisement.